Traversée

Jean-Luc Billet Photographies

Ghetto de Venise – 2001

On peine parfois à expliquer pourquoi une photo nous devient essentielle avec le temps, comme si elle s’était agrégée à ce qui nous définit.

C’était un jour d’avril, lors d’une déambulation au hasard, dans le quartier de Cannaregio à Venise. L’averse venait de tomber mais le ciel était encore plombé. Sous le « sotoportego » qui donnait accès au Ghetto, l’humidité avait imprégné les affiches qui renvoyaient des ondulations de reflets. Sur le bord du « Campo di ghetto nuovo », il y avait ce très vieux panneau d’affichage, semblable en taille à ceux qui « ornent » nos entrées de villes; mais celui-ci semblait bricolé, fait de tôles soudées en cours de dislocation, rongé par la rouille. Des lambeaux d’affiches par endroits, avec un fragment plus grand, probablement une affiche de concert illustrée par un tableau de Caspar David Friedrich, « Deux hommes au crépuscule », une toile peinte en 1835.

Régulièrement, un tirage argentique de grand format de cette photo quitte son tiroir pour prendre sa place quelques temps dans mon décor quotidien. A l’instar des deux personnages devant leur coucher de soleil, cette image déclenche toujours un temps d’arrêt, de rêverie, de contemplation, d’interrogation, de méditation. Je n’ai pas l’intention d’y chercher des connotations, des symboles, des significations, mais il est évident que le contraste entre cet écran concentré de matière et de temps, et cette déchirure d’espace et de représentation y est pour quelque chose. Il n’y aura jamais de réponse finale, ce serait risquer de la banaliser; il me semble que le déchiffrement est toujours en cours et qu’il le restera longtemps. Notre appareil photo n’est qu’une machine, mais il capte parfois à notre insu une petite parcelle du mystère et nous offre alors une image inépuisable!

JLB 16/03/2018

2 Responses to “Traversée”

  1. Tristan

    Si comme tu le dis, « On peine parfois à expliquer pourquoi une photo nous devient essentielle avec le temps, comme si elle s’était agrégée à ce qui nous définit », j’ai envie de te dire de lâcher les soupapes…

  2. jeanlucblogphoto

    @ Tristan: On fait parfois une photo « essentielle » (pour soi) comme on ferait n’importe quelle autre. J’ai ajouté cette phrase ci-dessus: » Notre appareil photo n’est qu’une machine, mais il capte parfois à notre insu une petite parcelle du mystère et nous offre alors une image inépuisable! » On ne s’en rend compte qu’après. Je fais de mon mieux mais merci pour l’incitation, j’y penserai!

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