Interview 1X Magazine

Interview édité par Yvette Depaepe, rédactrice en chef de 1X magazine

Publication en page d’Accueil de 1X le 13 mars 2023 (en anglais et accompagné de photos)

 

Cher Jean-Luc, je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir pris le temps de répondre à ces questions ! Pour commencer, je vous prie de vous présenter brièvement et de nous en dire plus sur vous, vos hobbies ou d’autres projets dans lesquels vous êtes impliqué !

Je vis depuis toujours en France, sur le littoral Atlantique. J’ai fait des études d’histoire de l’art et d’arts plastiques et partagé mon temps entre l’enseignement de l’art et la pratique de diverses disciplines (dessin, peinture, sculpture). La photographie a toujours été présente dans mon enseignement et dans ma pratique personnelle, mais elle est restée longtemps au second plan. Elle a pris de l’ampleur depuis 15 ans environ, jusqu’à se substituer aux autres pratiques.

 

Quand et comment avez-vous commencé votre parcours photographique ?

Peut-être lorsqu’on m’a offert un « Instamatic » Kodak à 14 ans et que j’ai installé et animé un labo argentique dans le collège où j’étais élève ?… Peut-être !… J’ai beaucoup utilisé la photographie durant mes études mais ensuite le parcours n’a pas été linéaire, avec de longues périodes consacrées à d’autres préoccupations et des sursauts d’intérêt qui me faisaient ressortir l’agrandisseur du placard. Je suis revenu au noir et blanc à l’occasion d’un séjour à Rome en 1997 et j’ai beaucoup amélioré ma technique de tirage dans les années qui ont suivies… jusqu’à la fin de l’histoire argentique.

 

Pour beaucoup d’entre nous, la photographie est soit un passe-temps, soit un mode de vie. Comment définiriez-vous votre relation avec la photographie ?

C’est devenu une passion qui m’est essentielle. Elle est étroitement liée à une autre passion, celle de la nature, des grands espaces, des zones littorales, de la marche sur les sentiers d’ici et d’ailleurs, des voyages à pied dans les déserts ou en montagne. C’est là que je collecte images, sensations, ressentis et émotions qui feront la matière première de mes créations.

 

Quelle est l’expérience la plus importante qui a influencé vos pas dans la photographie ?

Si la photographie est venue au premier plan de ma pratique artistique c’est grâce à l’avènement de la technologie numérique. Je faisais auparavant de grands tirages argentiques virés au sélénium, ce que je trouvais très lourd en terme de temps et d’espace nécessaires, et j’avais de plus en plus de mal à supporter la claustrophobie ressentie dans la chambre noire. Le numérique est venu au bon moment pour m’ouvrir de nouveaux horizons et j’ai décidé d’investir dans du temps de formation (en autodidacte) et du matériel.

Vous avez un style bien à vous. Pourquoi êtes-vous si attiré par la photographie de paysages éthérée et minimale ?

Est-ce qu’une psychanalyse approfondie me permettrait de répondre à cette question ? Je ne sais pas ! Mais il me semble qu’une partie au moins de la réponse serait à chercher dans l’enfance… sur laquelle je ne m’attarderai évidemment pas ici. Pour simplifier, je dirais une soif inextinguible de beauté, d’espace, de liberté et de solitude…

 

Qu’est-ce qui est le plus important pour vous, l’ambiance, l’histoire derrière vos images ou la perfection technique ?

Dans le texte qui accompagne mon exposition « Erg Admer » sur mon profil 1X, j’explique que je suis parti là-bas avec un appareil photo numérique neuf que je ne maîtrisais pas du tout. Résultat : de nombreuses photos techniquement peu satisfaisantes, des ciels surexposés en particulier. Pour restaurer les lumières et les ambiances gravées dans mon esprit, j’ai eu besoin de la technique. Dans ce même texte, je conclus ainsi : « Je ne sais plus si ce désert est fidèle à la réalité mais il me semble parfaitement en accord avec ce que j’en ai gardé, y compris dans ses dimensions autres que visuelles. Je retrouve surtout mon désert intime, celui que je portais en moi bien avant de pouvoir le parcourir. Et c’est pour moi essentiel ». Sur 1X, de nombreux commentaires mettaient l’accent sur l’aspect « naturel » de ces images, alors que certaines sont très travaillées. Ceci m’a apporté une grande satisfaction ; merci à la technique donc, capable de pallier nos erreurs et nos insuffisances. Mais je me méfie un peu de la « perfection » qui n’est jamais très loin de l’artificiel…

 

Quelle est généralement votre relation avec votre sujet au-delà du rôle d’observateur ?

Je voudrais montrer une nature hors de notre temps et de notre civilisation, des espaces vierges sans traces d’interventions humaines. Alors le naturel tend vers le surnaturel. En même temps, j’ai envie de m’y fondre, de les habiter, mais symboliquement, sans aucune notion d’appropriation. Mes images parlent aussi de respect de notre environnement, de préservation de la beauté indispensable à notre vie. Lorsque j’ai fait ma série « Sand Wind -Vent de Sable », une idée m’a guidée, celle de montrer les plages sous l’effet du vent comme si je les découvrais du haut d’un tapis volant… ne pas laisser de trace,! Et au-delà du visuel, il y a toutes ces sensations fondamentales prodiguées par les éléments,: le vent, la pluie, la chaleur…

 

Préparez-vous soigneusement les lieux où vous avez l’intention de photographier ?

Le littoral où j’habite est très préservé; c’est un inépuisable sujet. Je le connais parfaitement et je sais où aller pour trouver ce que je cherche : vastes plages, dunes, forêts profondes, estran, falaises, roches, galets, etc. Il me suffit alors d’avoir la météo et l’heure des marées. Pour la montagne, je cherche avant le départ les itinéraires qui me permettront d’atteindre les altitudes minérales sans trop de difficultés, après c’est la météo qui commande. Par contre, en voyage, une fois la destination choisie et l’organisation au point, j’ai tendance à me laisser porter et à profiter au maximum de ce qui se présente, les yeux grands ouverts sur un monde nouveau.

 

Décrivez votre vision photographique globale.

J’adopterais volontiers cette définition du photographe Daniel Challe : « Être photographe, c’est porter au fond de soi le désir d’une vibration avec la nature, les villes, les paysages, les corps. Rythme qui vient du premier regard de l’enfance, de cette faculté de ressentir et d’éprouver, qui se perd parfois en route dans le monde adulte dominé par la lassitude, l’adaptation, la raison. »

 

Quelles sont, selon vous, les principales caractéristiques d’un photographe paysagiste accompli ?

Le paysage n’est ni un écran, ni un sujet auquel on va s’intéresser dans le seul but de le traduire en écran. Le photographe n’est pas DEVANT un paysage mais DANS un paysage, il en fait intégralement partie. Ce sont ses perceptions, ses déplacements, son analyse des lieux qui vont naturellement l’amener à faire des choix parmi les nombreuses possibilités qui s’offrent à lui, point de vue, cadrage et paramètres de la prise de vue. Cela nécessite un certain lâcher-prise, ne pas viser le spectaculaire, et rester au plus près de sa propre vérité et de celle du paysage.

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre processus de travail, de l’idée au produit final ?

Pour moi, faire des prises de vue ce n’est que faire la moitié du chemin. Bien évidemment les choix faits à ce moment-là sont déterminants, je pense par exemple aux méthodes et paramètres pour renforcer l’idée d’espace dans mes photos de paysages. Mais en découvrant les images au retour, j’ai plutôt l’impression d’avoir sous les yeux une matière première qui reste à modeler. J’apprécie donc particulièrement la souplesse des raw et les outils mis à notre disposition et qui permettent de travailler avec le même état d’esprit et la même liberté que le peintre devant sa toile. Le résultat est satisfaisant lorsque l’accord entre réel et ressenti est parfait… si on y parvient !

En parallèle, j’ai développé depuis peu une autre branche de création d’images que je regroupe sous le terme générique de « Chimères ». Ce sont les divers confinements liés au covid qui ont motivés ces évasions vers l’imaginaire. Faute de pouvoir sortir pour faire des prises de vues, je me suis mis à exploiter des images de second choix (celles qui n’ont pas été retenues mais que l’on n’a pas osé jeter), en utilisant les moyens de l’édition créative (retouches, montages, etc.).  En développant cette option, j’ai commencé ensuite à faire des prises de vues spécifiques pour certains projets. Ainsi les images titrées « Terra Incognita » publiées en ce moment sur 1X, sont issues de diverses séries regroupées sous ce titre général.

 

Où cherchez-vous l’inspiration et qu’est-ce qui vous inspire le plus ?

Je ne cherche pas… Lorsque je travaille sur un sujet, il y en a toujours un ou deux autres dans la file d’attente ! Le sources peuvent être multiples: prise de vue sur un sujet rencontré au hasard qui semble mériter un développement, rencontre avec une image oubliée en cherchant dans les archives, bifurcation imprévue lors de l’édition d’une photo, lecture, rencontre inspirante en fréquentant expositions et plateformes de publication…

 

Beaucoup pensent que l’équipement n’est pas très important lorsque la passion pour la photographie est forte. Cependant, pouvez-vous nous dire quel matériel vous utilisez (appareil photo, objectifs, éclairage, trépied, etc.) ?

Je n’aime pas être excessivement chargé et encombré pour parcourir la nature, je n’ai pas les derniers appareils sortis ni les logiciels les plus actuels, mais en même temps, j’aime produire des images de qualité que j’imprime moi-même pour présenter en exposition. Actuellement, j’utilise du matériel dit « Expert » (moyenne gamme). Soit un réflex NIKON APSC équipé d’un objectif 16/85, qui a beaucoup souffert en voyage (j’aimerais le remplacer un jour prochain par un hybride plein format). Je l’ai complété plus récemment par un hybride LUMIX GX8 équipé de plusieurs objectifs ; beaucoup plus léger et compact et d’une qualité d’image équivalente à celle du réflex, il est devenu rapidement un compagnon discret et indispensable de toutes mes escapades nature (treks, déserts, montagne…). Sinon j’utilise un lourd trépied Manfrotto pour les poses longues et pour résister aux tempêtes, un ordi qui assure, deux écrans dont un EIZO confortable et évidemment calibré, et une imprimante EPSON A3+. Mais quand je parle technique avec certains photographes, j’ai un peu l’impression d’être un artisan de l’image, ignorant beaucoup de chose sur l’évolution des appareils et outils logiciels sophistiqués.

 

Quelle serait votre photo préférée ? Veuillez nous raconter l’histoire qui se cache derrière.

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J’ai un tirage de cette photo sur un mur de mon salon depuis longtemps, et elle le restera sans doute encore longtemps. Je ne m’en lasse pas ! Elle m’apaise, me rassure, me remplit d’un sentiment de plénitude. Février dans le Sahara sud-algérien: après une longue marche dans les canyons brûlants du Tassili N’Ajjer, c’est l’arrivée sur les premières dunes de l’Erg Admer, au moment où le soleil se couche. Tout autour, le paysage est simplement sublime (plusieurs grands voyageurs, qui savaient de quoi ils parlaient, définissaient cette région comme l’un des plus beaux endroits de la terre). Sous les couleurs du couchant, l’infini des dunes qui ondule vers l’infini, le Ténéré et le Niger. Le silence est total, l’impression de douceur délectable. Cette pause contemplative se poursuivra par une nuit dans un creux de la dune, sous la magie des étoiles.

Je suis heureux et comblé d’avoir été là, ce soir-là.  J’ai l’impression d’avoir mis une part de mon âme  dans cette image…

 

Quels sont vos photographes ou mentors préférés dont les œuvres vous ont influencé, vous et votre photographie ?

Mes influences ne sont pas liées essentiellement à la photographie mais à tous les domaines des arts plastiques. J’ai eu professionnellement l’occasion de les approfondir et de les partager à travers des projections, des visites d’expositions ou de musées et l’organisation de voyages culturels. Surtout des peintres au départ, comme Caspar David Friedrich, Paul Klee, Max Ernst, Leonardo Crémonini, Antoni Tapiès; mais aussi des sculpteurs comme Giuseppe Penone, Anselm Kiefer, Andy Goldsworthy… Quant aux photographes, ils sont nombreux ; je citerais Henri Cartier-Bresson pour son oeil, Pentti Sammallathi pour sa poésie, Ansel Adams pour ses paysages sublimés, mais aussi Magdi Senadji, Bernard Descamps, Alvarez Bravo et tant d’autres. Sans oublier les voyages dans « Genesis » de Sebastião Salgado dont je ne me lasse pas.

 

Maintenant, puisque nous sommes presque arrivés à la fin de cet entretien, je vous demanderais de bien vouloir nous faire part de vos projets photographiques auxquels vous aimeriez participer.

Je travaille souvent sur plusieurs projets en même temps. J’en termine actuellement deux. Le premier s’intitule « (a) fleur de sable »: j’ai arpenté à l’aube les plages de ma région pour collecter les délicats poèmes graphiques laissés par les vagues sur le sable durant la nuit et tenté de les restituer au mieux, de les présenter comme des créations précieuses. Le second, intitulée « Vestiges », très personnel,  concentre de multiples aspects de mon histoire, de mes passions et de mes activités artistiques ; ce sont des montages alliant des photographies prises en « studio » de mes réalisations sculpturales aux résonnances « archéologiques », à des images de paysages collectés durant mes voyages dans des espaces minéraux. J’aurai probablement l’occasion de les montrer sur 1X dans les mois qui viennent. Autre projet, celui de parcourir des espaces marqués par l’activité volcanique : j’ai déjà eu l’occasion de marcher parmi des volcans (éteints!) sur une île du Cap Vert, je me suis senti comme chez moi !  Après cette immobilité de 3 ans due au covid, j’envisage de repartir prochainement, probablement vers les Canaries, pour approfondir le sujet en images.

 

Y a-t-il autre chose que vous souhaitez ajouter et que pensez-vous de 1X comme base de votre travail?

Je publie depuis peu sur 1X que je trouve intéressant et enrichissant, stimulant et inspirant parfois. Avec ce système de curation, le contenu est très qualitatif. Les regards extérieurs sont très instructifs, que ce soit au niveau de la curation ou des commentaires. Pour ma part, cela m’aide à faire le tri et à mieux choisir les images que je vais proposer en exposition par exemple, voire éliminer d’une série certaines images qui n’offrent manifestement aucun écho. On n’est pas toujours le meilleur juge de son propre travail. Je pense donc continuer à proposer mes images dans l’avenir, en espérant qu’elles continueront à avoir un aussi bon accueil.

 

Conclusion

Un grand merci à vous Yvette et à l’équipe de 1X, pour la publication de mes images dans vos  sélections, pour la mise en avant d’une exposition (Vent de Sable) et pour cet interview. Cet intérêt me conforte dans les voies de la création photographique que j’ai choisies. C’est un véritable encouragement si on le rapporte à votre niveau d’exigence. Bravo à vous et à bientôt.