Tassilis

Jean-Luc Billet Photographies

Sahara Sud Algérien – 2010

Les aléas de la géopolitique nous ont « privé de désert » depuis nombre d’années, en particulier de Sahara, plus fréquenté par les djihadistes que par les amoureux de la marche. Une frustration qui trouve un dérivatif par un retour sur des images peut-être vieilles de 10 ans, mais qui recèlent des trésors de souvenirs, de sensations et d’émotions. Découverte d’images négligées  au moment du premier tirage, ou jamais exploitées pour des problèmes de qualité. Les outils dont disposent maintenant le photographe permettent des prouesses pour corriger et restaurer ces images, en particulier les images argentiques qui, après scan du négatif, peuvent être exploitées avec toutes les ressources du numérique. Le tout avec l’ambition d’imprégner ce noir et blanc de la somptueuse lumière du matin et de traduire au mieux le sable sensuel et le grès oxydé (parfois caparaçonné d’écailles minérales). Et surtout rendre compte, à ma manière, de la quiétude éprouvée en ces lieux, de la rassurante plénitude liée au fait que, quelque soit la direction où l’on porte le regard, on est assuré d’y trouver douceur et beauté.

 Une autre manière de voyager… avec jubilation et ravissement!…

« TASSILIS », un album en préparation.

Erosions

Profiter de l’hiver pour partir en quête de nouveaux sujets photo… hum!… le froid, les intempéries … pas toujours envie… cocooning plutôt, bien au chaud, à la lueur de ses écrans d’ordinateur, avec Mark Lanegan ou Bertrand Belin en fond sonore… En contrepartie il est toujours possible de plonger au fin fond de ses dossiers, a la recherche d’images oubliées, négligées, là où l’on conserve les raw jamais tirés pour des tas de raisons, cadrage approximatif, surexposition, profondeur de champ mal gérée, mauvais réglage, ou plus simplement désintérêt au moment de la sélection. Prendre alors de temps de les reconsidérer et d’en extraire quelques-unes pour tenter de leur donner une seconde chance.

Jean-Luc Billet Photographies

Baie de Morlaix – Finistère – Bretagne.

Les premières images qui ont retenu mon attention portaient sur des roches granitiques photographiées sur les côtes bretonnes. D’où l’idée d’élargir ma recherche vers d’autres dossiers pouvant compléter cette idée d’érosion qui m’est chère depuis que je sais utiliser un appareil photo, et sans doute avant! Ma plongée s’est donc poursuivie dans les Alpes, les Pyrénées, au Portugal, en Espagne, en Grèce, dans l’Atlas, au Sahara et dans diverses îles atlantiques.

Jean-Luc Billet Photographies

Au nord de l’île de Santorin – Cyclades – Grèce.

Une fois les fichiers regroupés, restait un énorme travail de post-production pour réparer, modifier, valoriser. Nos outils numériques peuvent faire des miracles si on prend le temps de les apprivoiser et d’y consacrer du temps. Au départ une intention d’unité pour constituer une série: le noir et blanc et un format carré (mais à l’usage, certaines images se sont imposées en 4/3 ou 2/3). Mais aussi, au-delà de l’amélioration, une grande liberté d’interprétation, voire une part d’imaginaire née du souvenir de ces contrées minérales, de leurs histoires récentes ou millénaires.

Cette série « Erosions » est en cours d’élaboration. Elle sera probablement visible ici plus tard, après quelques passages sur blogs photo et autres plateformes de publication.

Erosion

Jean-Luc Billet Photographies

Pico Ruivo – Madère – Portugal

Du sentier menant au sommet du Pico Ruivo (point culminant de l’île de Madère), dans une zone dévastée par un incendie l’année précédente. Sur ces pentes, une érosion intense a ensuite mis à nu tout le système racinaire de cette forêt, lui donnant un aspect inédit.

Publié dans le N°322 de Réponses Photo (Janvier 2019)

Ossau

Jean-Luc Billet Photographies

Lac Bersau – Vallée d’Ossau – septembre 2018

Tout autour du Pic du Midi d’Ossau, myriade de lacs miroirs.

Le regard s’inverse, plonge en altitude et se perd en surface,

au fil des algues iridescentes…

Jean-Luc Billet Photographies

Lac d’Arrémoulit – Vallée d’Ossau – septembre 2018

Pose longue

Jean-Luc Billet Photographies

Le Porteau – Château d’Olonne – Juillet 2018

Le soir c’est mieux! Quand on commence à respirer après une journée de canicule, comme en ce mois d’août, c’est parfait! L’appareil photo est déjà fixé au pied, très lourd, et la télécommande est dans la poche. Reste à choisir un petit segment de la côte proche, de préférence à marée haute, sauf pour certains motifs repérés à l’avance qui nécessitent une autre amplitude. Le temps de choisir un premier sujet et de chercher le meilleur point de vue, le soleil vient de disparaître. Les prises de vue peuvent commencer avec des poses d’une petite poignée de secondes. Au fil du temps et des déplacements, la lumière diminue très vite et on arrive en peu de temps à des poses de 30 secondes. Et même si parfois la récolte est médiocre (ça arrive), on a toujours passé un excellent moment au bord de l’Atlantique. Mais pourquoi la pose longue est-elle toujours aussi séduisante  (au point que certains photographes en font leur unique mode d’expression)? Est-ce pour cette capacité que possède l’appareil photo de rendre visible le temps à travers les fluides, et que notre oeil n’a pas?  Où sommes-nous à ce point avides de douceur?

La Brèche

Jean-Luc Billet Photographies

La brèche de Roland – Pyrénées – 2004

Tout photographe a parfois la surprise de découvrir dans certaines de ses images, des choses ou des personnes qu’il n’avait pas vues en déclenchant. Surprise de taille (et enchantement !) pour cette photo prise en 2004, jamais tirée en argentique car le négatif était abîmé et de médiocre qualité, et qui faisait partie d’un lot récemment scanné en HD, en vue de retirage numérique. Aucun souvenir d’avoir VU la Brèche de Roland comme ici! Avec ce masque primitif au centre, surmonté d’une flamme minérale! Sous sa garde, la brèche prend des allures de porte d’entrée d’un territoire sacré et enchanté, qu’il est en réalité puisqu’il contient des merveilles nommées Monte Perdido, Ordesa, Anisclo, Pineta etc… En faisant une recherche d’image sur ce lieu, jamais je n’ai retrouvé cette figure hiératique; sans doute une conjonction improbable entre un point de vue, un moment de la journée, une lumière. Magie de la photographie.

Reflet

 Jean-Luc Billet Photographies

San Marco – Venise – 2001

« L’espace et le temps ont un plafond: Venise. L’espace, en effet, revient ici indéfiniment sur lui-même, et ne peut guère être soupçonné que d’avion. Sinon, à terre, en mer, c’est un huit, une bande de Moebius où dedans et dehors, sans arrêt s’échangent. La désorientation est constante, ponctuelle, courbée, systématique, mais n’engendre aucun désordre, au contraire. L’espace est simplement doublé et organisé en reflet, comme un échiquier. Les canaux, les piquets, les ruelles, les quais, les bateaux, les places, les ponts, les puits, le dallage même, orchestrent cette mise en jeu géométrique. Le temps lui, ne peut être, à chaque instant, que vertical, étagé, feuilleté, poudroyant, ouvert. Venise est un entrelacement de chemins qui ne mènent nulle part et qui se suffisent à eux-mêmes; une horloge où toutes les heures sont égales. Le projet s’y dissout, l’horizon est renvoyé, la psychologie y serait abusive, le masque et le visage coïncident, et, pour cela, nul besoin de carnaval. Bref, si on y consent, le corps se trouve déjà ressuscité, sauf pour les aveugles et les sourds volontaires, les agités du bouillon social, c’est-à-dire ceux qui ne savent pas être là, maintenant, à jamais, tout de suite.

Être là est un art, et Venise exige un pari sur soi; sinon, exclusion, décor. »

Philippe Sollers – Venise éternelle – 1993

Trajectoires

ou « ne pas prendre de photo »

C’est un espace d’ombres et de lumières sous un carré de bleu, un quadrilatère minéral ancré sur un dallage ondulant, avec des façades trouées de fenêtres gothiques géminées. C’est un campo paisible comme il en existe des dizaines à Venise. C’est un espace occupé, contemplé, parcouru.

Adossés au mur d’une église, quelques personnes discutent haut et fort au soleil; leur voix se répercutent sur les parois et montent vers le ciel. Assis sur des bancs ou des marches de pierre, d’autres occupants sont silencieux, attentifs ou rêveurs.

Une dure oblique scinde l’espace en deux parties: à l’ouest, les ocres jaunes et les bruns rouges vibrent sous le soleil, à l’est une nappe d’ombre fraîche voile les couleurs. Deux rues partent des angles en coulisses: l’une s’enfonce dans le quartier de San Polo, l’autre rejoint directement le marché du Rialto tout proche.

Les deux diagonales sont les axes les plus fréquentés. Ils sont parcourus d’un flux aéré mais continu d’habitants du quartier chargés de provisions, de touristes flâneurs par couples, plan ou guide à la main, ainsi que par quelques vénitiennes élégantes au pas sonore.

Un puits de marbre blanc, clos d’un opercule de métal noir marque le centre. Il oblige les passants à  détourner leur trajectoire, indifféremment à gauche ou à droite, mais lorsque deux d’entre eux sont amenés à le contourner en même temps, ils empruntent toujours deux côtés opposés. Le puits semble agir comme un pôle magnétique inversé, évitant tout face à face.

Le côté gauche du quadrilatère, passage obligé vers la « Riva del Vin », est également parcouru par des silhouettes parfois pressées. Elles sortent de l’ombre d’un « sotoportego », longent les murs décrépits de quelques maisons inhabitées, et plongent dans la nuit d’un autre passage souterrain menant aux quais. Les trois autres côtés ne sont empruntés que très rarement: grands-parents avec un enfant dans une poussette, architecte, plans en rouleaux sous le bras, employé avec attaché-case.

Mais voilà que surgit un jeune homme, les yeux virevoltants, index sur le déclencheur de son réflex! Arrivant du Grand  Canal, il tombe en arrêt au sortir de l’ombre, lève les yeux au ciel, examine une à une les façades et, sans prêter la moindre attention aux gens qui marchent, il effectue un long parcours erratique, croisant et modifiant les trajectoires précitées (contournements, ralentissement, changements de direction…), avance, recule, à la recherche du meilleur point de vue. Caillou jeté dans la mare, il créé un trouble, perturbe la belle mécanique des trajectoires qui, quelques instants avant sa venue, rythmait l’espace et le temps de ce paisible campo. Dès qu’il renonce et disparaît côté soleil, par la ruelle menant au Rialto, tout rentre dans l’ordre en quelques instants.

Finalement je remets dans mon sac, l’appareil que je venais tout  juste de sortir! Je ne ferai pas de photo! Je vais continuer à REGARDER.

Au centre, le soleil grignote inlassablement son territoire de pavés où le noir et le blanc du puits semblent maintenant flotter.

 

JLB / Campo di San Silvestro / San Polo / Venise  / Notes avril 2001 / revu mars 2018

Traversée

Jean-Luc Billet Photographies

Ghetto de Venise – 2001

On peine parfois à expliquer pourquoi une photo nous devient essentielle avec le temps, comme si elle s’était agrégée à ce qui nous définit.

C’était un jour d’avril, lors d’une déambulation au hasard, dans le quartier de Cannaregio à Venise. L’averse venait de tomber mais le ciel était encore plombé. Sous le « sotoportego » qui donnait accès au Ghetto, l’humidité avait imprégné les affiches qui renvoyaient des ondulations de reflets. Sur le bord du « Campo di ghetto nuovo », il y avait ce très vieux panneau d’affichage, semblable en taille à ceux qui « ornent » nos entrées de villes; mais celui-ci semblait bricolé, fait de tôles soudées en cours de dislocation, rongé par la rouille. Des lambeaux d’affiches par endroits, avec un fragment plus grand, probablement une affiche de concert illustrée par un tableau de Caspar David Friedrich, « Deux hommes au crépuscule », une toile peinte en 1835.

Régulièrement, un tirage argentique de grand format de cette photo quitte son tiroir pour prendre sa place quelques temps dans mon décor quotidien. A l’instar des deux personnages devant leur coucher de soleil, cette image déclenche toujours un temps d’arrêt, de rêverie, de contemplation, d’interrogation, de méditation. Je n’ai pas l’intention d’y chercher des connotations, des symboles, des significations, mais il est évident que le contraste entre cet écran concentré de matière et de temps, et cette déchirure d’espace et de représentation y est pour quelque chose. Il n’y aura jamais de réponse finale, ce serait risquer de la banaliser; il me semble que le déchiffrement est toujours en cours et qu’il le restera longtemps. Notre appareil photo n’est qu’une machine, mais il capte parfois à notre insu une petite parcelle du mystère et nous offre alors une image inépuisable!

JLB 16/03/2018

Caminhos

Jean-Luc Billet Photographies

Littoral nord de Santo Antão – Cap Vert – novembre 2017

Le réseau de sentiers qui irrigue l’île de Santo Antão est un véritable chef-d’œuvre, que l’on peut rapprocher des levadas de Madère. Vu la complexité du relief et les dénivelés importants, il représente un travail titanesque. Des générations d’esclaves y ont probablement laissé leur sueur et, pour certains, leur vie à l’époque de la colonisation portugaise. Encore aujourd’hui, les routes que peuvent emprunter les quelques véhicules sont rares et ces sentiers restent le seul moyen d’accès à certains villages, habitations isolées et cultures. Les terrasses cultivées vont parfois se nicher à des hauteurs improbables et seuls les ânes et les mules peuvent venir en aide aux hommes pour les exploiter. Le fond des cirques qui ferment les vallées ressemble souvent à un mur de 1000 m de haut, apparemment infranchissable. Et pourtant on y trouve un sentier confortable et impeccablement dallé qui s’insinue dans les failles, passe de vire en vire, escalade des pitons rocheux et propose au marcheur un parcours aérien. Longeant la côte au nord de l’île, un sentier large, souvent bordé d’un mur de pierres sèches, épouse les méandres des falaises, se faufile dans le fond d’un canyon saturé d’embruns (photo ci-dessus) pour croiser la trace d’une cascade à sec, puis remonte par des vires vertigineuses pour laisser le regard plonger à la verticale vers les vagues atlantiques.